Vingt millions d’enfants à risque de pauvreté et d’exclusion sociale. Le chiffre est saisissant. Il concerne les enfants entre 0 et 18 ans au sein de l’Union européenne. Après des années de baisse, la pauvreté infantile a recommencé à croître en Europe. La pandémie, l’inflation, la guerre en Ukraine ont fragilisé un peu plus le tissu social des vingt-sept États membres de l’Union européenne.
Malgré cet échec collectif à protéger les moins fortunés, la volonté de la Belgique, alors qu’elle occupait la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne pour six mois, d’ériger au rang de priorité le « socle européen des droits sociaux » est à saluer. Lors des présidences tournantes, les États président les réunions du Conseil, donc l’institution où siègent les gouvernements des États membres, ils négocient pour le Conseil les textes de lois avec le Parlement et mettent en avant des priorités à l’agenda européen. Ces six mois de présidence Belge étaient donc l’occasion d’orienter les travaux européens vers davantage de protection des droits de l’enfant.
Pour l’UNICEF et les acteurs de défense des droits de l’enfant, il était crucial que la « déclaration de la Hulpe », orchestrée par la présidence Belge et censée donner le 'la' des futures orientations sociales de l’UE, intègre une dimension ‘droits de l’enfant’. C’est désormais chose faite, depuis la signature de ce texte, en avril 2024, par les institutions européennes. La déclaration rappelle l’importance de la « garantie européenne pour l’enfance », instrument « clef » de lutte contre la pauvreté des enfants, qui devra être « renforcée ». Avec cette garantie, adoptée en 2021, l’Union européenne s’engage à sortir 5 millions d’enfants de la pauvreté d’ici 2030.
La garantie européenne pour l’enfance a pour ambition de faciliter l’accès gratuit des enfants « dans le besoin » à des services essentiels : les crèches, l’école, la santé, l’alimentation saine, le logement. Pour y parvenir, les États membres élaborent des plans d’action qu’ils s’engagent à mettre en œuvre, sous le contrôle de la Commission européenne. La Belgique, décriée à domicile pour le manque d’ambition de son plan d’action, a été à la manœuvre au niveau européen pour faire vivre cet instrument. Malgré ce paradoxe, l’avancée européenne est salutaire.
La directive sur le « devoir de vigilance » : une avancée majeure
Sur le front des droits de l’enfant, ces six mois de présidence belge ont permis de décrocher une victoire de taille : la directive sur le devoir de vigilance des entreprises. Avec ce texte, proposé en 2019 par la Commission européenne, on parle d’impacts très tangibles pour les enfants du monde entier. Alors que la présidence espagnole avait décroché un compromis provisoire en décembre 2023, la machine européenne s’est grippée face à des gouvernements soudainement rétifs. Les médiations belges ont permis de dégager un compromis in extremis sur ce texte essentiel.
La directive imposera aux entreprises de plus de 1.000 salariés, générant plus de 450 millions d’euros de chiffre d’affaire, de tout faire pour empêcher les violations des droits humains tout au long de leur chaîne de valeur. En cas de violation par une entreprise sous-traitante, l’entreprise donneuse d’ordre devra réparer les dégâts et sera reconnue civilement responsable devant les tribunaux en cas de plainte. Parmi les droits que les entreprises devront sanctuariser figurent les droits de l’enfant. L’avancée est indéniable. Car les enfants sont en contact avec les entreprises en tant que consommateurs de produits, parce qu'ils sont exposés au marketing et à la publicité, parce qu'ils sont 160 millions à travailler dans le monde, souvent dans des conditions déplorables, parce qu'ils sont des enfants de travailleurs, parce qu'ils utilisent des plateformes numériques ou parce qu'ils vivent et jouent dans les environnements polluées par des entreprises.
Pendant six mois, les droits de l’enfant ont fait partie de l’agenda européen. Les progrès sont parfois discrets, de l’ordre du symbolique, ou concernent de grandes orientations des politiques européennes. Les « orientations de l’UE sur les enfants face aux conflits armés » ont par exemple été adaptées sous présidence belge. Le principe de participation des enfants aux décisions qui les concernent a lui aussi été affirmé par les États membres.
Mais aujourd’hui, dans un contexte d’insécurité, de désengagement de l'opinion et de montée des populismes,il faut nous accrocher à un espoir. Celui de voir les droits de l’enfant rester haut à l’agenda européen. Car sans volonté politique et sans engagement des décideurs européens, les progrès récents en faveur des enfants pourraient stagner. Ce qui serait dramatique pour les enfants, mais aussi pour l’économie et la cohésion européenne.
Karen Van Laethem
Senior Child Rights Officer UNICEF Belgique
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